Roche de Solutré, 2010

 

Pour la libre diffusion de la pensée :
appel au « droit de résistance à l’oppression »


En préambule à la Déclaration des Droits de l’âme

par Francis Lalanne

 

 

Dans une société, il n’est pas de droit sans devoir.


Le droit d’auteur étant une forme de contrat lié au sein d’une société, il ne peut donc être exonéré de devoir.


A l’heure où le droit d’auteur est au centre du débat sur la liberté d’accès à la culture, il convient de rappeler aux auteurs quel est leur devoir.


Dire à ceux qui dans le monde artistique ont bénéficié d’une marchandisation sans précédent de la création sous toutes ses formes que si le destin de l’art aura été un temps de devenir lucratif, la finalité de l’art n’a jamais été de faire de l’argent, mais bien de produire de la conscience.


Dans ce contexte, il est du devoir de l’auteur de ne pas faire obstacle à la libre circulation de cette conscience.


Produire de la conscience, de la réflexion, du divertissement au sens pascalien du terme, et incidemment du plaisir, du bien-être intellectuel, ne peut et ne doit donc pas conférer à la société le droit de persécution sur les citoyens à qui la République doit garantir le libre accès à la culture comme à l’air que l’on respire, à l’eau que l’on boit, à la terre que l’on foule…


Toute tentative ayant pour objet d’entraver le libre accès à la culture au nom du droit de ceux qui contribuent à la produire, est une violation pure et simple des devoirs de l’homme par abus de ses droits, et en conséquence relève de l’oppression.


Etant entendu que le droit d’auteur ne peut être opposable aux droits de l’homme, nous voulons proclamer ce qui suit. Toutes les lois visant à initier de manière contraire aux principes élémentaires de la République française une répression tyrannique sur la libre diffusion de la pensée, sont tout simplement en contravention avec ces droits supérieurs au droit d’auteur que sont les droits de l’Homme.


L’action de tous ceux qui se lèvent aujourd’hui pour s’opposer aux mesures liberticides imposées par les détenteurs du pouvoir économique et financier, avec le soutien de ceux des artistes qui leur sont désormais soumis, découle de la stricte application du droit fondamental que constitue l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 annexée à la constitution du 4 octobre 1958, à savoir : « le droit de résistance à l’oppression ».


Quant au droit de propriété, qui est également un droit de l’homme, il ne peut être opposable de manière certaine au droit d’être un homme. Surtout lorsqu’il s’agit de propriété intellectuelle.


Car la fixation du droit intellectuel est en elle-même une atteinte raisonnée aux droits humains, dans la mesure où le droit de se servir de ses oreilles pour écouter par exemple, ou de ses yeux pour voir, ne peut être contraint par une entreprise humaine quelle qu’elle soit. Cela sans remettre en cause le premier de tous les droits de l’homme : celui d’être un homme, c’est-à-dire de jouir pleinement des facultés humaines que la nature lui confère, et dont l’usage des cinq sens est la fonction vitale élémentaire.


Le fait de procéder librement et gratuitement à la fixation d’un élément activant l’un des sens pour animer la conscience de l’être humain ne peut être considéré comme un vol, car de même que la liberté des uns s’arrête à la liberté des autres, la limite de la propriété intellectuelle doit s’arrêter là où commence la liberté d’en jouir.


De même, il reste à établir ce qui dans une pensée est la part qui appartient à celui qui pense, et celle qui appartient à ceux qui l’ont inspiré. Il revient donc à chacun de considérer que la transaction qui aboutit à la création du droit intellectuel ne peut se substituer aux principes essentiels et constitutifs de la personne humaine. Car nul ne peut dire comment l’idée advient à l’entendement, et nul de ce fait n’a le droit de circonscrire la conscience, au point de réduire sa valeur à celle de l’argent. La valeur vénale de l’art doit donc demeurer une valeur facultative à débattre et non une valeur imposée.


Ainsi, la morale doit donc établir que n’étant pas soumise aux seules lois du marché, la convention sur le droit intellectuel doit être régulée par la conscience humaine sans que l’intérêt particulier ne prévale sur l’intérêt général. Comme l’écrivait Jean-Etienne-Marie de Portalis, fondateur du droit civil : « La loi est faite pour les hommes et non les hommes pour la loi. » A ce titre, aucune loi fût-elle issue de la société des hommes ne peut légalement s’opposer au droit humain.


Voilà pourquoi j’appelle, par la présente, tous les intellectuels et artistes dignes de ce nom à déclarer hors la loi les mesures visant à corrompre la neutralité des réseaux d’échange présents et futurs assurant la libre diffusion de la pensée et qui, en ce début de XXIe siècle, participent du droit humain à la liberté.

 

L’art est comme l’air, il est l’air de l’esprit. L’être humain n’a pas plus à payer pour l’air qu’il respire que pour l’art qui l’inspire : il doit être établi que le libre accès à l’art est un des droits de l’âme.

 

Fait pour valoir ce que de droit,
au Soleil, 136 bd de Ménilmontant,
à Paris, le 26 août 2009.

 

 

Ce texte a été rendu public le 29 janvier 2010 à l'Autre Café (Paris 11e) et publié comme préface de l'ouvrage "De la propriété intellectuelle" de Louis Blanc, réédité aux éditions Edysseus.

 

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